Article écrit par Dr Dragana Angelov Isak, gynécologue obstétricien au Centre Hospitalier Edmond Garcin
La fausse couche à répétition au cours du premier trimestre est un phénomène rare et qui suscite beaucoup de désarroi et d’incompréhension. Quels sont les causes et les facteurs de risque ? Comment se déroule la prise en charge ? Quels sont les traitements possibles ? On fait le point.
Qu’est-ce qu’une fausse couche à répétition ?
Une fausse couche à répétition est définie par au moins 3 fausses couches précoces consécutives avant la 14ème semaine d’aménorrhée (12ème semaine de grossesse), avec le même partenaire, chez une patiente de moins de 40 ans. Elle concerne 1 à 2% des grossesses.
Les symptômes sont des saignements vaginaux (métrorragies) plus ou moins abondants accompagnés ou non de douleurs pelviennes.
Le risque de récidive est important et estimé à 17-35% après deux fausses couches précoces, 25-46% après trois fausses couches précoces et supérieur à 50% après six fausses couches précoces(1).
Quels sont les facteurs de risques ?
Les facteurs de risque de fausse couche à répétition sont :
- l’âge de la mère ≥ 36 ans
- les malformations congénitales utérines
- l’obésité (IMC ≥ 30)
- l’hypothyroïdie (dysfonctionnement de la glande thyroïde)
- la présence d’anticorps anti-thyroïdiens (anti-TPO, anti-TG)
- l’endométrite chronique (inflammation continue de l’endomètre, paroi de l’utérus)
- le tabac
- les carences en vitamines B9, B12 et l’hyperhomocystéinémie
- une consommation de caféine quotidienne supérieure à 100 mg/j (plus d’une tasse de café)
- les aneuploïdies embryonnaires
- les anomalies chromosomiques parentales
- le stress.
Quelles sont les causes d’une fausse couche à répétition ?
Dans environ 50-60%(2) des cas, une cause est identifiée. Les principales causes de fausses couches spontanées à répétition sont les suivantes :
Causes génétiques
On retrouve 54%(3) d’anomalies chromosomiques de l’œuf chez les couples ayant fait au moins 3 fausses couches précoces. C’est la cause la plus fréquente. Dans 96%(3) des cas, il s’agit d’une anomalie chromosomique de nombre principalement trisomies, triploïdies, polyploïdies et monosomies c’est-à-dire un chromosome en plus ou en moins. Le risque de récidive est faible. Dans 4%(3) des cas, il s’agit d’une anomalie chromosomique de structure c’est-à-dire de l’altération d’une partie d’un chromosome. Le risque de récidive est, dans ce cas, élevé car hérité dans la moitié des cas de l’un des deux parents.
Cette réparation est la même dans le cas d’une fausse couche isolée que de fausses couches à répétition. Cependant, le taux d’anomalies chromosomiques diminue avec le nombre de fausse couche précoce d’où l’importance de rechercher d’autres causes.
Causes anatomiques
Il s’agit de toutes les malformations de la cavité utérine qu’elles soient congénitales (dès la naissance) ou acquises (au cours de la vie). La malformation utérine congénitale la plus fréquente est l’utérus cloisonné mais on retrouve aussi l’utérus bicorne, unicorne ou Distilbène. Les malformations utérines acquises sont les polypes, myomes, synéchies utérines (souvent à la suite d’un curetage antérieur), endométrite, adénomyose.
Causes hormonales
Les causes hormonales sont multiples. Il peut s’agir :
- d’une insuffisance ovarienne c’est-à-dire d’une altération de la réserve ovarienne dans sa forme modérée, en particulier chez les patientes âgées. Une forme sévère est associée à une infertilité.
- d’une insuffisance lutéale c’est-à-dire d’une sécrétion insuffisante de progestérone, une hormone indispensable au bon déroulement de la grossesse.
- d’une hyperprolactinémie c’est-à-dire d’une sécrétion excessive de prolactine.
- d’un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) qui se caractérise par la présence de nombreux petits kystes ovariens et perturbe l’ovulation.
- d’un trouble thyroïdien (insuffisance thyroïdienne ou hyperthyroïdie), les hormones thyroïdiennes étant nécessaire au bon développement de l’embryon et du trophoblaste.
- d’un diabète c’est-à-dire d’un trouble glycémique.
Thrombophilies héréditaires
Il s’agit de la présence de marqueurs de thrombophilie qui prédisposent à la survenue de thromboses (caillots sanguins). Les plus fréquents sont la mutation Leiden du facteur V, la mutation du facteur II, ainsi que les déficits en antithrombine, protéine C et protéine S.
Causes immunologiques
Il s’agit de toutes les maladies inflammatoires auto-immunes (lupus, sclérodermie, Crohn…). La plus fréquente est le syndrome des antiphospholipides (SAPL) caractérisé par la présence d’anticorps antiphospholipides qui favorisent les thromboses artérielles et/ou veineuses. Ces thromboses sont responsables d’une diminution voire d’un arrêt de la perfusion trophoblastique (futur placenta) et par conséquent d’un arrêt de la grossesse.
Causes infectieuses
Il s’agit de toutes les pathologies provoquées par une bactérie, un virus ou un champignon. La plus fréquente est la vaginose bactérienne qui survient lorsque les lactobacilles qui protègent le vagin contre les infections sont absents ou remplacés par des germes pathogènes.
Causes spermatiques
Il s’agit d’un sperme anormal caractérisé par une proportion élevée de d’aneuploïdies et de diploïdies.
Causes environnementales
Il s’agit principalement du tabagisme, de l’alcool, de la consommation excessive de café et de l’exposition aux produits toxiques (pesticides, etc.).
Comme se déroule la prise en charge ?
Un bilan étiologique complet est nécessaire à partir de 3 fausses couches consécutives afin de pouvoir proposer un éventuel traitement préventif. En-deçà, les probabilités de trouver une cause sont considérées comme faibles et les chances de retomber enceinte et d’avoir une nouvelle grossesse réussie sont élevées.
Dans le cas de 2 fausses couches consécutives ou de 3 fausses couches entrecoupées d’une grossesse réussie, un bilan partiel vous sera proposé qui comprend souvent la recherche d’un SAPL et une hystéroscopie.
Entretien avec le couple
L’entretien avec le couple est important et permet de déterminer :
- le déroulement des éventuelles grossesses antérieures
- les éventuels examens déjà réalisés
- l’existence éventuelle d’antécédents de pathologies
- l’arbre généalogique en cas d’antécédents familiaux de fausses couches répétées
- l’impact psychologique des échecs précédents.
Bilan étiologique
Le bilan étiologique à réaliser comprend :
- un caryotype des deux membres du couple par prélèvement sanguin
- un bilan hormonal au troisième jour du cycle
- une hystéroscopie, échographie 3D ou IRM pelvienne afin de rechercher une éventuelle malformation utérine
- la recherche d’une thrombophilie par une analyse génétique et/ou coagulante
- le recherche d’un SAPL par la présence d’antiphospholipides (les 3 principaux sont l’anticardiolipide, l’anticoagulant circulant et l’anti-β2-GP) à deux reprises et à trois mois d’intervalle.
- un prélèvement vaginal avec recherche de mycoplasme et chlamydiae
- un dosage plasmatique des vitamines B9 et B12 et d’homocystéine.
- la recherche d’un diabète ou d’un SOPK
- l’analyse d’un spermogramme et / ou une étude de la fragmentation de l’ADN spermatique.
L'analyse cytogénétique du produit d'une des fausses couches peut aussi être intéressante si elle a été demandée à l’occasion d’une aspiration des produits gestationnels.
Quels sont les traitements possibles ?
En cas de cause identifiée, certaines mesures thérapeutiques ou préventives seront discutées avec vous afin de limiter le risque de récidives. Il peut s’agir d’un traitement médical ou d’une intervention chirurgicale en fonction des résultats du bilan.
Une première approche consiste en une vitaminothérapie avant la conception et au cours de la grossesse dans le cas d’une carence en vitamines et / ou hyperhomocystéinémie.
En cas de diabète gestationnel ou antécédent familial de diabète, on envisage la normalisation pré-conceptionnelle de l’hyperglycémie.
Une deuxième approche consiste en un traitement hormonal. Plusieurs traitements seront proposés suivant votre situation :
- Traitement à base de progestérone en cas d’insuffisance lutéale
- Traitement par bromocriptine en cas d’hyperprolactinémie
- Traitement par thyroxine en cas d'hypothyroïdie ou de présence d’anticorps thyroïdiens
- Prise en charge du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)
Une troisième approche consiste en un traitement anticoagulant. On pourra notamment citer :
- Traitement par héparine en cas de thrombophilie héréditaire
- Traitement par aspirine - héparine dans le cas des SAPL accompagné d’une surveillance pendant toute la grossesse
- Traitement immunosuppresseur associé à l’aspirine en cas de lupus
Une quatrième approche consiste en un geste chirurgical :
- Résection d’un polype ou myome endocavitaire
- Cas d’utérus cloisonné
- Synéchies utérines (rares)
Enfin, dans des cas très particuliers, on pourra réaliser :
- Un diagnostic pré-implantatoire (DPI), amniocentèse ou biopsie de trophoblaste sur les grossesses évolutives (à discuter en fonction du résultat de l’analyse du caryotype des deux membres du couple)
- Un don d’ovocyte à discuter en cas d’insuffisance ovarienne sévères.
Conclusion
La recherche des causes en cas de fausses couches successives est systématique mais ne donne pas toujours des résultats. La prise en charge des couples reste délicate et difficile. Il n’y a pas de consensus quant aux examens à réaliser pour rechercher une cause et aux traitements à proposer pour éviter les récidives. Pour toutes ces raisons, les grossesses avec antécédent de 3 fausses couches précoces nécessitent un suivi gynécologique renforcé.
(1) Embryonic karyotype of abortuses in relation to the number of previous miscarriages Fertil Steril. 2000.
(2) Frequency of factors associated with habitual abortion in 197 couples, Fertil Steril. 1996.
(3) Cytogenetic analysis of miscarriages from couples with recurrent miscarriage: a case-control study Hum Reprod. 2002.